Matière à Fiction

.04 Très Courtes Histoires de la Fin du Monde - 01

(2023-08-24, François Houste)

Je me souviens très bien de la mort de Papy. C’était un mauvais concours de circonstances disait Papa. C’était au moment où les pannes d’électricité se faisaient plus nombreuses. On m’avait expliqué que si des fois, pendant la journée, je pouvais plus jouer à la console, c’est parce que l’électricité servait à alimenter les grandes fermes de captation de la pollution. Et que c’était bien plus important de capter le carbone que de finir un niveau de mon jeu débile-là. C’est Papa qui m’avait expliqué ça. Je m’en souviens très bien, c’était un dimanche où Papy était venu manger à la maison. Et ce jour-là, la panne bien plus importante que mes jeux vidéo a duré plus longtemps que d’habitude. Et à un moment, on a entendu une série de bips qui sortaient de la poitrine de Papy. C’est rien, c’est rien, il a dit. Ça doit être mon implant cardiaque qui a bientôt plus de batterie. Faudra juste que je pense à le recharger. Et il a continué à manger le poulet que Maman préparait toujours pour le repas du dimanche. Il a refait bip plusieurs fois, Papy. Et à chaque fois il disait que c’était rien, qu’il avait de la marge. Mais Maman elle s’inquiétait un peu quand même. Et puis, il a fait un bip plus long, un peu plus fort aussi. Et il s’est écroulé dans ce qu’il restait de haricots verts dans son assiette. L’électricité, elle est revenue deux heures après. C’est quelques jours après que Papa a décidé d’acheter un groupe électrogène. Maman semblait fâchée. Elle lui a fait remarquer qu’il aurait sans doute pu y penser un peu avant.


Papy habitait un petit appartement en haut d’une vieille tour. Un peu isolé au-dessus de la ville. J’aimais bien quand Papa et Maman me laissaient chez lui pour avoir enfin un après-midi à eux. Ils insistaient sur le enfin. Chez Papy, je passais des heures sur le petit balcon à regarder les autres maisons, les lignes de train, les voitures-propres-électriques qui passaient dans la rue. Je regardais pas forcément loin, on voyait pas bien à cause du brouillard tout gris qui ne se levait jamais de la journée. C’était avant qu’on interdise d’ouvrir les fenêtres. Et avant la mort de Papy. Une fois, sur le balcon, je me souviens que j’ai vu arriver un drôle d’oiseau. Il s’est posé pas loin de moi. Il avait l’air un peu tout doux. Tout ébouriffé. Avec des griffes sur une de ses pattes et un œil en moins. Papy m’a dit que c’était un pigeon et qu’avant qu’il y ait tout le brouillard, on en voyait tout le temps dans la ville. Il a dit aussi que ça transportait des maladies et qu’il fallait pas le toucher. Il devait avoir raison, parce qu’après le pigeon a toussé et est reparti en volant. Pas loin. Je l’ai entendu tousser encore une fois et tout d’un coup, il a plongé vers le sol. Comme s’il tombait. Il devait vraiment être très malade. C’est la seule fois où j’ai vu animal comme ça chez Papy. Après, de toutes façons, il m’a interdit d’aller sur le balcon.