.09 Très Courtes Histoires de la Fin du Monde - 02
(2023-09-05, François Houste)À la maison, j’ai jamais vu de pigeon. Mais j’ai passé des tas d’heures à observer le jardin, derrière la fenêtre de ma chambre. Maman aussi, elle disait que c’était mieux si la fenêtre restait fermée. Elle avait mis un petit crochet, avec un petit cadenas à chiffres dessus pour que je l’ouvre pas. Je connaissais le code, bien sûr. Mais je voulais pas faire de peine à Maman. J’avais un petit livre illustré avec des tas d’animaux dessinés dedans. Les Animaux de nos campagnes ça s’appelait. Y’avait un renard, un hérisson, et puis des tas de petits oiseaux comme des mésanges ou des merles. Pas de pigeon. Ça aurait été chouette de les voir passer de l’autre côté de la vitre, les animaux. Ça aurait été normal, puisque Papa disait qu’on avait de la chance de vivre à la campagne. Mais j’en ai jamais vu. À la place, ce qui passait dans le jardin c’était des drones. Et parfois, Papa prenait le temps de se mettre derrière la vitre avec moi et m’apprenait à les reconnaître. Ça, c’est un drone de livraison, regarde il porte un petit colis. Ça, c’est le drone de mesure de la qualité de l’air. Si sa lumière est rouge, c’est qu’il vaut mieux pas sortir. Ça, c’est… et parfois il ne finissait pas sa phrase et partait en courant par la porte d’entrée de la maison. Ça voulait dire que c’était le drone que le voisin utilisait pour cueillir les pommes qu’on avait dans l’arbre au fond du jardin. Papa n’aimait pas beaucoup que le voisin fasse ça.
Le pommier, y’avait pas que le drone de Monsieur Grapelli, le voisin, qu’il intéressait. Y’avait d’autres gens qui des fois franchissaient le mur du fond du jardin pour y chiper quelques pommes. Je les voyais de derrière la fenêtre. Mais jamais quand Papa regardait avec moi. Je crois qu’à chaque fois il était parti au travail. La première fois, ils m’ont fait un peu peur. Parce qu’ils portaient un masque. Un grand masque avec une visière et une sorte de gros tube sur la bouche et le nez. Papa m’avait expliqué que c’était un masque pour mieux respirer quand la lumière du drone de mesure était rouge. On en mettait aussi des fois pour sortir. Mais de là où je les voyais, derrière la vitre, ils ressemblaient à des grands animaux, c’est pour ça qu’ils m’avaient fait peur. Des fois, je me suis demandé si derrière le masque, il n’y avait pas Nicolas, l’un des copains que j’avais à l’école. Enfin, avant que les écoles soient fermées. La personne avec le masque dans le jardin portait les mêmes baskets que lui dans la cours. Rouges, avec des bandes blanches. Y’avait pas grand monde qui avait des chaussures comme ça à la récré. J’avais demandé une fois à Maman si je pourrais pas en avoir des pareils. Elle m’avait répondu que ce n’était pas raisonnable et qu’il y avait des choses bien plus intelligentes à faire avec de l’argent qu’acheter des baskets comme ça. Et que l’argent, il fallait qu’on le garde parce qu’on pourrait bientôt en avoir besoin. Elle a pas précisé pour quoi. Je crois que j’ai revu le garçon aux baskets rouges deux fois dans le jardin après. Et puis, il est plus venu. Les gens qui venaient dans le jardin étaient plus grands. Des adultes. Plus mal habillés aussi. Et puis, je crois que la famille de Nicolas était partie. Et Monsieur Grapelli aussi, on ne voyait plus son drone ni sa voiture.