.17 Dominique
(2023-10-05, François Houste)11h34. Terminus. Voilà cinq bonnes minutes que le train est entré en gare. Et je suis toujours assis dans mon siège. Ça fait presque trente ans que je ne suis pas revenu dans cette ville, je ne suis pas à cinq minutes près. Je crois que si Dominique n’avait pas insisté aussi fort, je ne serais sans doute jamais revenu. Il y a trop de souvenirs ici pour que je m’y sente bien.
Le quai est déjà quasiment vide quand je descends du wagon. Les quelques voyageurs qui sont encore là sont pressés. Un homme d’affaires en costume qui court attraper un taxi avant son rendez-vous. Une famille qui traîne à la fois ses valises et ses enfants. Ils vont sans doute se trouver un sandwich avant d’aller rejoindre leur hôtel. Une jeune femme qui court et se jette dans les bras d’un jeune homme, à l’autre bout du quai. Les personnages habituels, ceux qu’on retrouve dans toutes les gares.
Je contemple la grande verrière, au-dessus de moi. Elle est nickel, transparente. Le résultat d’une politique de restauration urbaine sûrement. La ville doit désormais être propre, attractive, plaire aux touristes qui viennent chaque week-end voir ses monuments, ses musées, manger dans ses restaurants. Il y a trente ans, quand je suis parti de cette même gare, la verrière laissait à peine passer la lumière du jour. Même en plein après-midi, les néons de chaque quai étaient allumés. On s’en foutait bien à l’époque de faire venir les touristes ou les jeunes couples parisiens en mal d’escapades. Ici, c’était un centre industriel et administratif. Les trains charriaient des ouvriers et des employés de bureau qu’il était inutile de séduire.
Le grand hall de la gare a changé aussi. Fini le petit comptoir-tabac où je venais acheter mon paquet de Gauloises. Les fast-foods ont envahi l’espace. Devant une sandwicherie, la famille que j’ai vue sur le quai lit la liste des formules. Si j’avais faim, sans doute que moi aussi je m’y arrêterai, le temps de prendre un jambon-beurre. Mais je n’ai pas faim. Et je suis revenu ici pour une bonne raison. Autant que je me mette en route tout de suite pour en finir.
Je sors de la gare par une des portes latérales, celle qui conduit un peu plus loin à l’ancienne gare de marchandises et aux services de location de voitures. La sortie principale donne sur une grande avenue, du genre creusée au XIXe siècle, qui rejoint le centre historique. J’imagine que la famille ira de ce côté quand elle aura enfin choisi ses sandwiches. Moi, j’ai à faire ailleurs. En face de moi dans la rue s’alignent les brasseries modernes et les restaurants healthy. Et un Starbucks. Le bistrot dans lequel on traînait il y a trente ans n’est plus là. Bien entendu. Il a dû faire faillite, disparaître en même temps que sa clientèle. C’est pourtant là qu’on passait une bonne partie de nos soirées, Dominique, moi et quelques potes, sur les banquettes de moleskine rouge tachées de café et brûlées par les cendres de cigarette. Des soirées à enchaîner les demis, jusqu’à ce que le patron – comment il s’appelait déjà ? Gaston ? Riton ? – ne nous dise d’y aller mollo et ne nous pousse gentiment vers la sortie. On n’avait pas vingt ans. Il savait bien qu’on n’était pas spécialement méchants. A l’époque, tout ce qu’on cherchait, c’était juste un endroit où passer nos soirées entre nous, boire des bières et refaire le monde. Ce qu’on fait dans les bars quand on est jeune.
Ça me revient, le bar s’appelait la Loco. Forcément, juste en face de la gare.
On profitait de la musique aussi. A l’heure où l’on arrivait, le patron changeait en général de station sur son poste radio. La journée, c’était les retraités, les chômeurs, les joueurs du PMU qui squattaient le zinc. La radio passait de la vieille chanson française et retransmettait les courses. Quand on arrivait, vers dix-neuf heures, Gaston passait sur une des nouvelles radios libres et nous laissait écouter du rock. Ici, on pouvait avoir dans les oreilles autre chose que la variété qu’écoutaient nos parents toute la journée. La Loco, c’était un peu comme un deuxième chez nous, comme une maison des jeunes. Si ma mémoire ne me joue pas de tour, il était là où le Starbucks vend ses cafés allongés dégueulasses aujourd’hui.
Le sex-shop qui était juste à côté n’existe plus non plus. A sa place, une boutique de fringues. De toutes façons, il ne correspondrait sans doute pas à la nouvelle politique de la ville. On ne fait pas venir des familles avec un sex-shop. Dominique avait réussi à y entrer en douce une fois, et à y chourrer un ou deux magazines. J’avais beaucoup trop peur de me faire gauler pour tenter le coup. Dominique lui s’en foutait un peu. C’était juste un défi à la con pour lui. Les magazines nous avaient occupé deux-trois soirs, jusqu’à ce qu’on les oublie sur l’une des banquettes de la Loco. Sans doute que Gaston aussi en avait profité.
Je pars vers la gauche pour m’éloigner du centre-ville. A l’époque, la rue menait vers le centre administratif. Des grands immeubles en brique qui dataient des années cinquante, de la rénovation précédente de la ville. Des grands bâtiments construits pour montrer l’essor économique de la région. A ce que je peux voir, la majorité des immeubles ont disparu, ils ont laissé la place à de grandes tours de verre. Sans doute qu’elles aussi témoignent de la bonne santé économique de la ville. Pour moi, c’est tout aussi moche.
Un peu plus loin, sur le trottoir d’en face, les grands immeubles de bureau se succèdent. Ici aussi, les souvenirs se bousculent. Il y a plus de trente ans, il y avait ici un lycée professionnel. Je m’en souviens très bien, on y venait souvent Dominique et moi. Pas pour suivre des cours ! On était tous les deux inscrits en BTS, mais ça faisait longtemps qu’on désertait les salles de classe à cette époque. Non, on guettait depuis le parking d’en face les élèves du Bac Pro coiffure, à cheval sur nos mobylettes. Le cliché. C’est comme ça qu’on a connu quelques filles.
Pas tant que ça en vrai. Deux. Corine et Véronique. Deux copines qui étaient dans la même classe. Avec nos mobs et nos blousons en faux cuir, j’aime bien croire qu’on leur avait tapé dans l’œil. Qu’elles avaient eu envie de sortir avec des vrais loubards. L’illusion n’a pas dû durer longtemps. A part traîner avec elles à la Loco, et faire quelques virées sur nos Peugeot, je pense que nos samedis n’avaient rien d’une équipée sauvage. Pourtant, elles sont restées avec nous quelques mois. Corine avec moi. Véronique avec Dominique.
La rue tourne vers la gauche. Je continue mon chemin et j’emprunte le pont qui enjambe les voies de chemin de fer. Aujourd’hui, il enjambe aussi une large autoroute urbaine, à moitié enterrée. Elle n’existait pas à l’époque. On ne contournait pas la ville, on la traversait par une série de grands boulevards qui étaient bouchés soirs et matins, occupés par toutes ces voitures qui se rendaient dans la cité administrative. Si je continue à avancer sur ce pont, je le retrouverai certainement ce boulevard.
Le samedi soir, tard, c’était plus calme. On aurait presque dit que le boulevard n’était qu’à nous. C’est là que les différentes bandes de la ville se lançaient des défis. Une sorte de Fureur de vivre à cyclomoteur, avec des pots samouraï pour faire plus de bruit. Ici, les voisins ne se plaignaient pas, les bureaux étaient vides chaque week-end. On faisait la course, pour la frime. Dominique brillait et arrivait souvent dans les premiers, à l’autre bout du boulevard, près des entrepôts de la gare de marchandises. Moi, j’étais dans le gros du peloton. Inconnu au milieu de la masse des jeunes paumés de la ville. Dominique, lui, avait le chic pour régler et gonfler sa bécane. S’il avait eu envie de bosser, il aurait pu être un garagiste hors-pair. J’en suis sûr. Mais à l’époque, il s’en foutait. Il ne voulait surtout pas travailler. Moi non plus à vrai dire. Je voulais juste traîner et pas trop rester à la maison où mes parents me traitaient de fainéant.
Il est toujours là ce boulevard. Seulement, les grandes trouées de macadam ont laissé place à une grande promenade piétonne et à une piste cyclable bordées d’arbres et de bancs. Maintenant, cela doit être la sortie familiale pour tous ceux qui avaient emménagé dans le nouveau quartier que je vois un peu plus loin. L’ancienne gare de marchandises, au sud, a laissé la place à une série de petites résidences, de trois, quatre étages chacun. Des appartements tout équipés sans doute. Ça doit faire bien longtemps qu’aucun train de marchandises ne passe plus par ici. Seulement des TGV.
Si je continue à avancer, j’arriverai au faubourg ouvrier. Mais j’imagine que ce quartier populaire, de l’autre côté du boulevard a disparu lui aussi. Quand on traînait dans la ville, Dominique, Véronique, Corine et moi, on se retrouvait parfois dans ce coin. Il y avait là un ou deux cafés où l’on pouvait s’asseoir, boire un café et faire une partie de billard pour passer le temps. Et il y avait surtout un petit cinéma de quartier. Le reste c’était des maisons de briques rouges, toutes identiques, qui s’alignaient sur des centaines de mètres. Il n’y avait que la couleur des portes d’entrée et les numéros qui permettaient de les distinguer. Corine habitait l’une d’entre elles, chez ses parents. Je m’en souviens, la porte de sa maison était rouge foncé. Mais impossible de me rappeler du numéro. Pourtant, je l’ai raccompagnée chez elle une paire de fois. C’est loin tout ça.
Le cinéma, lui, s’appelait le Majestic. Il n’avait qu’une seule salle de projection, une petite salle aux banquettes un peu dures, sans coussins ni rembourrages. Le patron récupérait toujours les films avec quelques semaines de retard, quand les grands complexes du centre-ville en avaient fini l’exploitation. Du coup, il faisait un tarif spécial pour les habitants du quartier. On a passé quelques après-midis dans la salle avec Dominique et les filles, à enchaîner les projections. Jamais des grands films, juste les comédies qui sortaient à l’époque. Je ne me rappelle même pas les titres. Après tout, je peux bien l’avouer : on venait surtout là pour peloter nos copines dans le noir. Pas vraiment pour les histoires ou les jeux d’acteur.
A ce que je vois, la plupart des maisons ont été restaurées, retapées. Les voitures alignées le long du trottoir sont presque toutes des monospaces, des SUV, des voitures de famille bonnes pour emmener les mômes en week-end ou chez Mamie… Ça m’étonnerait fort que ce soit encore les mécanos de la SNCF qui logent ici. La proximité du centre-ville a dû attirer l’appétit des promoteurs et faire monter le prix du mètre-carré. Ça sent le cadre moyen, celui qui n’aime pas être confondu avec un ouvrier mais n’a pas encore les moyens d’emménager dans le centre-ville. Et qui patiente ici, dans une ancienne cité ouvrière, que les gamins se soient tirés à l’université pour se trouver un grand appartement plus près des théâtres et des rues commerçantes. Ça aussi ça a changé d’ailleurs. Il est quasiment midi et pas un môme dans la rue. A l’époque, on n’aurait jamais supporté de rester enfermés entre quatre murs. On était tout le temps dehors. La rue grouillait de vie.
Le cinéma a disparu lui-aussi. Assez logiquement, il a été remplacé par une épicerie bio qui se fond parfaitement dans le décor. Je jette un coup d’œil rapide à la vitrine. Rien de bien tentant. Des graines, des légumes. Je continue ma route.
Le reste du quartier est méconnaissable. En même temps que les ouvriers de chemin de fer, c’est toute la friche SNCF qui a disparu. Aujourd’hui, il y a un collège, une médiathèque. Il y a trente ans, rien de tout ça. Ici, c’était une série d’entrepôts de la SNCF, en briques comme les maisons qui les entouraient. Les employés y embauchaient le matin et assuraient la maintenance des grosses locomotives des convois de marchandises. Des voies de garage se croisaient dans tous les sens, et sur ces voies rouillaient de vieux wagons de fret et quelques vieilles motrices à vapeur rescapées d’on ne savait quelles aventures. Ici aussi, on traînait entre jeunes. Dominique et moi. Quelques autres copains, de ceux qui faisaient des courses de bécane sur le boulevard. Les ouvriers toléraient notre présence tant qu’on ne chourrait rien et qu’on ne les emmerdait pas trop. De toutes façons, à cette époque-là, la zone n’était pas fermée ni surveillée comme elles le sont maintenant. Quelques grillages, un vigile qui était le père d’un ancien pote du collège. Pas de vidéo-surveillance. On venait, on causait entre mecs. On zonait.
On n’aurait jamais emmené une copine ici. La friche, c’était un endroit pour les mecs. Sauf la fois où j’y ai surpris Dominique et Corine. C’était un samedi de février, en début d’après-midi. Une toute petite couche de neige avait recouvert les voies et les trains. Le ciel était gris, triste. On s’était donné rendez-vous, Dominique et moi, pour aller ensuite faire un billard dans l’un des deux troquets du coin. Je m’étais engueulé avec mon père, qui m’avait dit encore une fois que si je continuais à sécher le bahut, il me foutrait à la porte. Je l’avais pris au mot et je m’étais barré, bien décidé à ne jamais revenir.
Arrivé sur la friche, je les avais vu ensemble. Dominique était appuyé contre l’un des vieux wagons-citernes près de l’entrée. C’était forcément lui, sa Peugeot kitée était à quelques mètres de lui, elle était reconnaissable parmi toutes les meules de la ville. Corine, elle, était collée tout contre lui. J’aurai reconnu sa chevelure brune entre mille. Ils s’embrassaient. A voir où traînaient les mains de Dominique, ils faisaient même un peu plus que s’embrasser.
Ils ne m’ont pas vu. Ils étaient vraisemblablement trop occupés. J’ai fait demi-tour sans qu’ils ne me remarquent et je suis retourné chez moi. Ma résolution de quitter la maison pour de bon avait tenu vingt minutes à tout casser. Mon père était sorti entre temps. Ça tombait bien, je n’étais pas d’humeur à subir une nouvelle fois ses reproches. Je suis directement allé dans ma chambre et j’ai mis une cassette de Téléphone à fond. Le plus fort que pouvait jouer mon magnétophone. Je ne voulais plus rien entendre. Plus voir personne. C’est loin, mais ça, je m’en souviens comme si c’était hier.
Encore deux rues et je suis arrivé à destination : le numéro 26 de la rue Charles Péguy. L’immeuble est tel qu’il est resté dans mes souvenirs. Un petit immeuble de cinq appartements, avec une grande porte cochère en métal pour laisser entrer les voitures qui se garent dans la cour. Il y a maintenant des volets roulants aux fenêtres, le genre de stores électriques qu’on voit partout. Il y a trente ans, c’était des volets en métal, ceux qui grincent et réveillent les voisins au petit matin. La façade a été ravalée, bien entendu, mais c’est la même peinture blanc cassé que dans mes souvenirs qui recouvre les briques. L’appartement juste au-dessus de la grande porte, c’est celui de Dominique.
Dominique était le seul de mes potes à ne pas crécher chez ses parents et à avoir un appartement rien que pour lui. Il faut dire que ses vieux habitaient à la campagne, à près de cinquante bornes de là. Ils avaient loué cet appartement, pour que leur fils puisse suivre ses cours dans les meilleures conditions possibles. Ils ne savaient pas qu’il n’avait plus mis les pieds dans son bahut depuis des mois. Dominique ne leur avait rien dit, trop content de profiter de son indépendance.
Je suis rentré trois ou quatre fois dans cet appartement. C’était un studio plus qu’un vrai appartement d’ailleurs. Une grande pièce où trônaient un grand canapé-lit et un petit bureau, ainsi que la grosse chaîne hi-fi et la collection de vinyles que Dominique s’était payé avec l’argent envoyé par sa mère. Un petit coin cuisine, réduit au minimum. Un mini-frigo, une plaque électrique, que je n’ai jamais vu Dominique utiliser. Les toilettes et la douche étaient communs à tout l’immeuble De toutes façons, l’immeuble était miteux, en attente de réhabilitation et je suis sûr que les autres appartements étaient vides depuis longtemps. J’imagine qu’aujourd’hui tout ça a été réaménagé et que chaque appartement de l’immeuble a le même standing que le reste du quartier.
Je n’ai jamais su vraiment si Dominique avait emmené Corine dans cette piaule. Après l’incident de la friche, je ne lui ai pas parlé de ce que j’avais vu. J’aurai dû prendre un peu mes distances, mais pour faire quoi ? Rester coincé entre quatre murs chez mes vieux ? Traîner seul dans le quartier ? J’ai rejoint Dominique, sans rien lui dire. Entre temps, Corine était partie. Alors on a été à la Loco, comme d’habitude, pour boire quelques bières. Je ne pouvais m’empêcher de penser à lui et à Corine, enlacés, contre le wagon-citerne. Dominique trouvait que je tirais la gueule. Il avait raison. Il pensait que c’était à cause de mon vieux qui allait réellement me foutre à la porte. Sur ce point, il avait tort. Cet après-midi-là, on n’a pas vu les filles. Elles avaient cours et je suis rentré tôt chez moi.
La grande porte cochère de l’immeuble s’ouvre sans un bruit. J’entre et avance tout droit, jusque dans la cour. Je jette un coup d’œil rapide à la façade de derrière. Tout est calme. Avant cette cour donnait sur les entrepôts de la SNCF, il n’y avait qu’un mince grillage pour séparer l’immeuble des grands bâtiments en briques. Aujourd’hui, le fond de la cour est muré, et de l’autre côté il y a d’autres immeubles, d’autres habitations. Un quartier entièrement neuf sorti de terre ces dix dernières années. Mais ce n’est pas ce mur qui m’intéresse, c’est celui qui sépare le bâtiment de l’immeuble d’à côté, sur ma gauche. Ce mur de brique est identique à ce qu’il était il y a trente ans. Lui, on ne l’a pas ravalé ni restauré. A quoi bon, il ne se voit pas de la rue. Avec de la chance, rien n’aura bougé.
Je m’accroupis au pied de ce mur mitoyen, presque contre la façade de l’immeuble et cherche la brique mal scellée. Je n’ai aucun mal à la trouver. Elle bouge facilement. Et ce qu’elle cache est toujours là.
C’était le lendemain matin. Je m’étais engueulé une fois de trop avec mon père et j’avais rassemblé toutes mes affaires dans un grand sac. Mes fringues, mes cassettes, quelques bouquins. J’avais aussi piqué quelques affaires dans le bureau de mon père, et assez d’argent pour me payer un billet de train pour Paris. Là-bas, je verrais bien comment me débrouiller.
Avant de quitter la ville, j’avais été voir une dernière fois Dominique. Je voulais lui dire que je l’avais vu avec Corine sur la friche. Que je trouvais ça dégueulasse. Que Corine était ma copine et qu’il pouvait très bien respecter ça, au moins au nom de notre amitié. Pour toute réponse, Dominique avait simplement rigolé. Sans doute m’a-t-il trouvé ridicule, moi, ce type moyen avec qui il zonait. Dominique avait du charme, il brillait lors des concours de mobs, il avait son propre appart’. C’était bien normal pour lui d’attirer les filles aussi facilement. Moi j’étais juste un gars qui traînait avec Dominique, rien de plus.
Je n’ai pas vraiment réfléchi. J’ai sorti le pistolet que j’avais trouvé dans le tiroir du bureau de mon père, le matin même. Je ne sais même pas pourquoi je l’avais emporté. Il était là, dans ma colère, impatient de partir, je l’avais empoché. Machinalement.
J’ai sorti le pistolet, et j’ai tiré sur Dominique. Deux fois. Il est tombé par terre d’un seul coup. J’ai quitté l’appartement à toute vitesse. Et une fois au pied de l’escalier, dans le passage pour les voitures, j’ai réalisé que j’avais toujours le pistolet dans la main. Impossible de sortir dans la rue comme ça. J’ai cherché une planque dans la cour, jusqu’à trouver cette brique mal scellée. J’ai rejoint la gare et pris le premier train à destination de la Capitale. J’ai trouvé un squat près de la gare et j’y ai passé la nuit. Le lendemain, quand je me suis réveillé, je suis directement allé voir les marchands de journaux de la gare. J’ai rapidement feuilleté un des quotidiens. On y parlait de meurtre. Dominique était bien mort.
Le pistolet est toujours là où je l’avais laissé. Aussi incroyable que cela puisse paraître, en trente ans, la police ne l’avait pas trouvé. A présent, il est dans mes mains. Ce qu’il me reste à faire, c’est d’aller au commissariat le plus proche et de tout leur raconter. Et de leur donner l’arme du crime, comme preuve de mes aveux. C’est le seul moyen pour que Dominique se taise enfin. Qu’il arrête de me supplier de revenir.