Matière à Fiction

.44 L'Instant Café

(2024-04-11, François Houste)

— Bonjour…

Sans réellement penser à son manque de galanterie, Jérôme était passé devant pour avoir accès en premier à la machine à café. Répondant timidement à son salut d’un hochement de tête, Carine l’avait laissé passer sans rien dire.

Ces deux-là se croisaient en rougissant dans les bureaux de l’agence depuis au moins six mois. Sans jamais échanger un mot plus haut qu’un timide Salut ou qu’un Bonjour à peine articulé. Mais vous savez bien comment ça se passe quand deux timides chroniques tombent amoureux l’un de l’autre ? Non ? C’est comme dans les comédies romantiques bon marché. Il faut qu’un bon pote, ou une bonne copine, vous pousse d’un coup de coude pour que vous osiez aborder l’autre. Mais dans les couloirs de l’agence, il n’y avait personne pour donner des coups de coude. Chacun était bien trop occupé par sa prochaine promotion, par le brief client de 16h ou par ce projet perso qu’il avait en tête depuis des années et qui se concrétiserait, promis, juré, dès que ce boulot de fou lui laisserait un peu plus de temps libre. Bref, Carine et Jérôme ne pouvaient compter que sur eux s’ils voulaient que ce rêve de sortir ensemble se réalise encore. Autant dire qu’ils ne pouvaient compter sur personne.

Jérôme demanda un café allongé, doublement sucré, comme tous les jours. Le seul moyen pour lui de sortir de ce simili-coma qui lui occupait encore l’esprit. Il partait de chez lui à peine levé, chaque jour, afin d’être au bureau le plus tôt possible. Un peu avant, ou en même temps que Carine qui était LA lève-tôt de l’agence. Ce café, c’était un peu son petit-déjeuner.

Une fois servi, il attrapa le gobelet chaud dans le présentoir de la machine et commença à souffler dessus, cédant sa place. Merci articula timidement Carine en commençant à sélectionner les options de sa propre boisson. Jérôme ne répondit rien. Les yeux baissés derrière ses lunettes, il fixait son gobelet quand l’inscription sur le côté attira son attention.

— Tiens, ils ont changé… Mais il s’interrompit bien vite en se réalisant le sens de la phrase qui était inscrite sur le bord du gobelet : DEMANDE-LUI SI ELLE A PASSÉ UN BON WEEK-END !

— Tu disais ? demanda Carine qui s’était retournée, pendant que son café coulait dans un autre gobelet.

— Je… je te demandais… si tu avais passé un bon week-end.

Les mots étaient sortis très vite de la bouche de Jérôme. Carine elle, releva légèrement la tête et le regarda fixement, surprise par la question… avant de se reprendre et de formuler la réponse la plus banale qu’elle put trouver.

— Euh… oui. Bien…. Bien. Enfin, la routine, tu sais… et elle alla jusqu’à oser demander en retour : Et toi ?

— Oui. Aussi. Bien… enfin, rien de fou. Quelques courses, une série. Tu vois quoi.

Il conclut sa phrase d’un haussement d’épaule et d’un petit rire nerveux que le Bip de la machine à café interrompit. Carine lui tourna le dos un instant, le temps de récupérer elle-aussi son gobelet. Le silence se réinstalla doucement dans la cafétaria presque déserte. Jérôme s’apprêtait à rejoindre son bureau après un Bon, bah bon courage pour ta journée quand Carine lut très vite, d’une voix un peu nerveuse, l’inscription présente sur son propre gobelet.

— Et, c’est quoi la série que tu regardes en ce moment ?

Jérôme cessa tout mouvement et commença à bredouiller la description d’une série policière… enfin pas vraiment… l’histoire d’un tueur en série… un peu fantastique, dans une ville sombre avec cet acteur-là tu sais ? Il en perdait ses mots, les noms, les références.

— Sergent Vengeance ? Je connais. Je regarde aussi, lui répondit Carine avec un sourire. Et tu en es où ? Vaguement ? Me spoile pas, j’ai juste commencé.

— Moi… moi aussi, j’ai juste commencé ce week-end. C’est pas…

Ni l’un, ni l’autre n’avaient osé rêver d’une conversation aussi longue et aussi bien entamée. Se trouvant des goûts communs, ils commençaient à échanger sur ce qu’ils aimaient dans le jeu des acteurs quand la machine à café émit un Bip bien plus puissant qu’à son habitude. Surprise, Carine sursauta et… renversa ce qu’il restait de son café sur la chemise de Jérôme.

— Oh merde. Je... je suis désolée… s’excusa-t-elle en attrapant la pile de serviettes en papier posée sur le plan de travail à côté d’elle.

— C’est rien… je t’assure… grimaçait Jérôme en réponse, à cause de la chaleur du breuvage.

Quand Carine commença doucement à éponger le torse de Jérôme, celui-ci gêné, détourna la tête et son regard s’arrêta sur l’écran tactile de la machine à café où était écrit : SERRE LA DANS TES BRAS, ESPÈCE D’IDIOT !

Juste au-dessus du logo de la compagnie de l’avait fournie à l’entreprise : L’Instant-Café - L’instant qui rapproche les gens.


Conches-sur-Gondoire / 11 avril 2024