Matière à Fiction

.45 Au Bûcher !

(2024-04-11, François Houste)

Les deux hommes regardaient le bûcher et les flammes qui montaient vers la Lune, dans la nuit d’automne. Il y avait longtemps que les cris et les supplications s’étaient tus. Et les malédictions également.

De toutes façons, l’homme qui se tenait sur la droite ne les comprenait pas. Le sens de la plupart des mots lui échappait. Bien qu’édile principal du village, il disposait d’un vocabulaire simple – à peine suffisant pour se faire obéir des villageois – et ne maîtrisait ni l’art de l’éloquence, ni celui de la lecture. L’homme qui se tenait sur sa gauche était plus cultivé. Il savourait la chaleur du brasier déclinant et tendait ses deux mains vers l’avant, comme il l’aurait fait devant l’âtre d’une cheminée au plein cœur de l’hiver. Les malédictions, s’il les comprenait, ne l’atteignaient pas plus. Habillé d’une longue robe d’un tissus assez grossier et coiffé d’une tonsure, cet ecclésiastique pârait les pires promesses de tourment d’une foi inébranlable. Son respect strict des rites catholiques le rendait hermétique à toute superstition.

Une de moins, dit le prélat en tournant la tête vers son compère. Un jour, nous serons débarrassés de toute cette engeance et l’avènement de Notre Seigneur pourra enfin advenir.

Son interlocuteur ne put que produire, en réponse, un regard interrogatif.

Je voulais dire, reprit le prélat, y’a beaucoup de sorcières en ce moment. Mais on va toutes les brûler. Et le Seigneur, y sera bien content.

Justement mon Père, je voulais vous en parler.

Un problème ?

Oh, non. Rien. C’est juste que les villageois, ils s’inquiètent.

C’est bien normal mon fils que les villageois s’inquiètent. Les sorcières sont une grande menace.

C’est que, ils trouvent qu’y en a beaucoup.

Ils ont raison mon fils. Moi aussi, je trouve qu’elles sont trop nombreuses. Et qu’elles nous demandent beaucoup de travail.

Justement, y se disent qu’on pourrait p’tet en brûler moins.

Moins ?

Ouais. Moins. C’est qu’on en a brûlé… – le chef du village pris quelques secondes pour compter sur ses doigts – huit, neuf la semaine dernière. Avec la mère Soazig aujourd’hui, ça fait… beaucoup.

Mais, c’est nécessaire, vous le savez.

Oui mon Père. Oui… mais voilà. C’est beaucoup. On peut p’t-être pas brûler les sorcières les moins méchantes non ?

Épargner des sorcières ?

Euh. Peut-être. Pas les brûler quoi.

C’est hors de question ! Ce sont des sorcières. Elles doivent être punies !

Je dis pas. Je dis pas. Mais… les hommes s’inquiètent.

Mais de quoi s’inquiètent-il enfin ?

Bah. C’est qu’y reste déjà plus que deux femmes dans le village. Alors bon, reprit-il d’un air gêné, si vous brûlez aussi ces deux-là, y restera personne pour préparer les repas. Forcément, y sont inquiets.


Conches-sur-Gondoire / 16 avril 2024