Matière à Fiction

.47 Shutdown – chapitre 2

(2024-04-27, François Houste)

“To everything (turn, turn, turn)
There is a season (turn, turn, turn)
And a time to every purpose, under heaven”

(The Byrds – Turn! Turn! Turn!)

Le trajet était long jusqu’à Reno. Andy et son père discutèrent un peu, puis rapidement, seule la musique rock diffusée par l’autoradio occupa l’habitacle de la camionnette. Andy sortit son smartphone et par curiosité tapa le nom de son grand-père dans Google. Pas vraiment de résultat. Il y avait bien sûr énormément de John Chapman sur Internet, mais aucune des mentions qu’il trouvait ne semblait parler de son grand-père, et aucune ne parlait non plus de musique ou de groupe hippie des années 1970.

Sans s’attendre à plus de résultat, il tapa cette fois « Tsar’s Children » dans le moteur de recherche. Quelques liens semblaient parler de musique. Parmi les premiers résultats, un article du magazine musical Pitchfork parlait d’une chanteuse dont Andy ignorait jusque-là l’existence : Shirley Tyller. Il fit rapidement défiler l’article jusqu’à ce qu’il trouve mention du groupe, au trois-quarts du texte. On y racontait que cette Shirley Tyller avait été, à la fin des années 1960 et au début des années 1970 la chanteuse du groupe Tsar’s Children, un groupe ayant eu une petite renommée dans les salles de concert et les festivals de l’Ouest américain. D’après l’article, aucun enregistrement ne semblait subsister. Andy remonta au début de l’article et lut l’histoire depuis le début.

La raison pour laquelle on parlait de cette Shirley, c’était que l’un de ses vieux singles avait été choisi par Netflix pour la bande son d’une de ses séries à succès. C’était il y a un peu plus d’un an. L’auteur de l’article avait alors décidé de creuser, et de découvrir l’origine de la chanson et de son interprète. Il avait retrouvé Shirley Tyller dans la banlieue de Reno. A en croire l’article, la chanteuse avait eu une carrière plutôt discrète. Après l’aventure Tsar’s Children, elle avait enregistré trois singles, dont celui repris par Netflix, son plus gros succès. En 1976, sans avoir percé et plaquée par un manager peu scrupuleux, elle avait enchaîné les petits boulots et se serait rangée, vite oubliée par le public. L’article dressait en conclusion le portrait d’une artiste oubliée, comme beaucoup d’autres.

En fin de page, un lien permettait d’accéder aux trois singles de l’artiste, exhumés pour l’occasion sur YouTube.

Ça t’embête si je mets autre chose comme musique ? demanda Andy.

Avec l’accord de son père, il connecta son smartphone au système audio de la voiture et la voix de Shirley Tyller envahit l’habitacle. Les morceaux sonnaient comme de vieux titres folks, un peu tristes, comme si ils évoquaient la nostalgie d’une époque révolue. La musique résonnait, pour Andy, comme celle qu’il avait l’habitude d’écouter avec son grand-père. Des noms lui revinrent vaguement en tête : Judy Collins, Cass Eliott… Andy se laissa porter en regardant les paysages de la Vallée Centrale défiler de l’autre côté de la vitre du van. Il pensait encore à son grand-père…

C’est sympa comme musique, c’est quoi ? demanda son père

Shirley Tyller, répondit Andy.

Ça n’a pas l’air récent, comment tu connais ça ?

D’après ce que j’ai lu, c’était la chanteuse du groupe de grand-père. J’étais curieux.

Les trois morceaux passés, Andy remit la radio et parla à son père de ce qu’il avait trouvé sur le Net. Puis rapidement, la conversation se tarit à nouveau et il ne resta que la musique rock. Devant la camionnette, les montagnes de la Sierra Nevada approchaient. La route était encore longue.

Quand ils arrivèrent enfin à Reno, la mère d’Andy attendait sur la petite terrasse qui précédait la maison. Jessica était la fille unique de Papy-John. Elle avait toujours été proche de son père, jusqu’à ce que le boum de loyers à San Francisco et dans sa banlieue immédiate ne l’oblige à s’installer avec sa famille aux limites du Nevada. Les contacts s’étaient alors espacés, et Jessica s’était bien vite refait une clientèle à Reno.

La fin du déménagement était une source de soulagement pour elle. Papy-John était depuis maintenant deux semaines dans sa nouvelle résidence et elle essayait de lui rendre visite chaque jour. De renouer des liens que la distance avait dénoués. Ce n’était pas toujours facile, et John avait encore, quelque fois, des moments d’absence. Mais en y réfléchissant, être auprès de sa fille n’était sans doute la moins bonne chose qui aurait pu lui arriver.

La maison de San Francisco était désormais vide. Jessica trierait les derniers meubles et affaires ramenés aujourd’hui et l’un de ses anciens collègues californiens s’occuperait de la vente. Cela ne prendrait pas longtemps tant ce type de bien était recherché. Le plus difficile était derrière eux maintenant.

Vous en avez mis du temps. Vous avez trainé dans un diner en route, c’est ça ? lança Jessica en faisant un clin d’œil à son mari qui descendait du van

C’est ça, on a voulu profité une dernière fois de la cuisine d’autoroute avant de rentrer ! Et si tu venais plutôt nous aider à décharger ?

En s’y mettant tous les quatre, vider le van ne prit pas longtemps. Le père d’Andy n’avait plus qu’à rendre le véhicule à l’agence de location où il l’avait emprunté. Et pendant ce temps, Jessica pouvait commencer à nettoyer les quelques meubles qu’elle souhaitait conserver.

Elle s’était perdue dans la contemplation de ce qui ressemblait à une table de chevet quand Andy vint la rejoindre.

C’est marrant de retrouver ce meuble, dit-elle sans vraiment s’adresser à son fils. Ça fait des années que je ne l’avais pas vu, j’étais persuadée que Mamie et Papy l’avait jeté. Tu sais ce que c’est ?

Elle n’attendait pas réellement de réponse.

C’est ma toute première table de chevet. Elle avait disparu de ma chambre quand j’avais quoi… 12 ans ? Quand ils ont décidé de refaire intégralement la déco. Je crois que je ne l’avais pas revue depuis. Je ne sais même pas ce qu’ils en avaient fait. Vous l’avez retrouvée où ?

Dans le grenier je crois. C’est Papa qui l’a sortie et l’a ramenée, il la trouvait jolie, répondit Andy.

Après une pause, il entreprit de parler de récente découverte.

A propos de souvenirs, tu savais que Papy avait fait partie d’un groupe de rock ?

De quoi tu parles ? demanda sa mère en se tournant vers lui.

Andy commença alors une brève explication de ses découvertes : la vieille boîte mal cachée sous les couvertures, les photos et les prénoms qui y étaient inscrits, les flyers et les dates de concerts. Il avait les photos à la main et les tendit à sa mère. Ajustant ses lunettes, elle scruta les visages qui y étaient présent.

Tu as raison. C’est bien lui, là. Le deuxième, avec la guitare à la main.

Jessica détailla les autres photos, retrouvant le visage de son père sur la quasi-totalité des clichés. Ces photos étaient pour elle un mystère. Elle ne les avait jamais vues, et ne se souvenait pas que son père ait mentionné une seule fois ce genre d’aventure ou d’expérience.

Il ne t’a jamais parlé d’un groupe qui s’appelait les Tsar’s Children, ou d’une certaine Shirley Tyller ? demanda encore Andy.

Ca ne me rappelle rien du tout. Shirley comment ?

Tyller.

Je ne pense pas l’avoir jamais entendu prononcer ce nom. En tout cas, je ne m’en souviens pas. On dirait que tu as mis la main sur une sorte de secret de famille Andy.

Jessica avait repris involontairement la même expression que son mari quelques heures auparavant.

Andy posa encore quelques questions à sa mère. Est-ce que Papy-John jouait de la musique quand elle était petite ? Est-ce qu’il y avait des musiciens qui venaient à la maison ? Est-ce qu’il s’absentait parfois longtemps ? Des questions qu’Andy essayait de raccrocher à ce qu’il imaginait être le quotidien d’un groupe folk ou hippie dans les années 1970. Sa mère était bien obligée de répondre négativement. Elle avait bien déjà vu son père gratouiller une guitare sèche, comme n’importe qui ou presque à San Francisco à l’époque. Mais les invités à la maison, pour autant qu’elle s’en rappelait, étaient plutôt rares, et étaient plutôt des amis de Mamie-Lilly. De mémoire son père n’avait jamais découché une seule nuit durant son enfance. Sa vie de famille avait été tout le contraire d’un documentaire sur les rock-stars.

Tu crois que je peux garder les photos ? demanda Andy quand sa mère les lui rendit.

Il faudra demander à ton grand-père pour ça, ce sont ses souvenirs à lui. Et si tu allais le voir demain après les cours pour lui en parler ?

Mmmh, ouais. J’irai lui rendre visite demain.

En attendant, range et garde tout ça précieusement et va mettre la table, tu veux bien. Ton père ne va pas tarder à revenir. Il a promis de passer par le KFC, ce sera bucket pour tout le monde ce soir.

Mais le lendemain, quand Andy rentra du lycée, il fut rapidement mis au courant des derniers évènements par sa sœur. Papy-John avait fait une nouvelle attaque dans la matinée. Bien entendu, il avait été très vite pris en charge par les infirmiers de la résidence. Mais son état était préoccupant. A la fois apathique et confus, il avait du mal à communiquer avec d’autres personnes. Maman avait dû se rendre en urgence sur place et elle n’était pas encore rentrée.

Andy envoya un message WhatsApp à sa mère pour savoir si tout allait bien. Elle le rassura, lui disant qu’elle rentrerait bientôt, et surtout qu’il ne s’inquiète pas. Une chose était certaine : la visite pour parler musique attendrait…

Andy avait du mal à se mettre au travail et à attaquer les devoirs qu’il avait pour le lendemain. Mécaniquement, son regard revenait sans cesse sur les vieilles photos de son grand-père qu’il avait accrochées au mur, juste au-dessus de son bureau. Son smartphone dans la main, il se connecta à l’enceinte Bluetooth qui était dans l’étagère et remis les trois morceaux de Shirley Tyller qu’il avait écoutés avec son père dans la voiture la veille. L’article qu’il avait trouvé disait qu’elle habitait Reno, il devait bien y avoir moyen de lui rendre visite. Peut-être même de la décider à rendre visite à Papy dans sa résidence. Cela lui ferait sûrement du bien de revoir une vieille connaissance.

Un coup d’œil sur l’article de Pitchfork ne lui apprit pas grand-chose sur l’endroit où trouver cette Shirley. Andy tenta une recherche sur Facebook serait plus fructueuse, mais à l’âge que devait avoir la chanteuse – 70, 75 ans – il n’y croyait pas réellement. Que ses parents puissent utiliser les réseaux sociaux, pourquoi pas, mais pas des personnes de l’âge de son grand-père. La recherche aboutit tout de même : un profil correspondait. Une Shirley Tyller, habitant Reno et pour autant qu’Andy pouvait juger sur la photo de profil, elle pouvait bien avoir l’âge d’être sa grand-mère. Restait à savoir comment l’aborder.

Andy ne voulait pas approcher cette inconnue avec un message larmoyant. Un très ancien ami, son grand-père mourant… cela sentait le mauvais scénario de série. Même si c’était la vérité, il pensait que personne ne répondrait à ce genre de message. Il lui fallait trouver autre chose.

Revoyant l’article de Pitchfork toujours affiché sur son smartphone, il eut une idée. Il allait se présenter comme un blogueur, travaillant pour un site dédié à la musique. Il expliquerait qu’il préparait un article sur les stars oubliées de la musique folk. Ou un truc du genre. Il solliciterait une interview, et une fois qu’il aurait rencontré cette Shirley, il serait bien temps de trouver comment lui dire la vérité.

Quelques minutes plus tard, le message était parti.