.50 Shutdown – chapitre 4
(2024-05-26, François Houste)
“Purple haze, all in my brain
Lately things they don't seem the same”
(The Jimi Hendrix Experience – Purple Haze)
Le samedi suivant, Andy, Shirley et Lana se retrouvèrent devant la porte de la maison de repos où séjournait Papy-John. Pour Andy, comme pour Lana, cette visite était la première depuis près de deux semaines. L’état de leur grand-père oscillait entre des moments de clairvoyance pendant lesquels il échangeait volontiers avec les autres pensionnaires et participait aux activités proposées par la résidence, et des périodes de confusion pendant lesquels il ne reconnaissait personne et semblait totalement hermétique à tout dialogue. Depuis la dernière crise, les instructions des soignants étaient extrêmement claires : visites minimales ! Même la mère d’Andy, la propre fille de Papy-John, s’était vue refuser l’accès à la chambre du vieil homme à quelques reprises, le personnel jugeant les effets des visites nuisible, non seulement à John mais également à ses proches. Ces derniers jours, la situation s’améliorant, les médecins autorisaient désormais des visites un peu plus longues et fréquentes.
Andy n’avait parlé de Shirley ni à son père, ni à sa mère. Seule Lana était dans la confidence. Il s’était dit, assez simplement, que ses parents devaient avoir assez de soucis comme ça, que cette histoire de groupe n’avait pas d’importance pour eux. Mais aussi qu’ils désapprouveraient certainement d’imposer à Papy-John la visite d’une quasi-inconnue. Jessica avait déjà tiqué quand son fils avait proposé d’aller voir son grand-père ce week-end. Lui parler d’une visite de groupe semblait hors de question.
À l’accueil de la résidence, Andy avait présenté Shirley comme étant une tante, la sœur de John. Personne n’avait bronché. De toute façon, les secrétaires derrière le comptoir ne répondaient qu’à demi-mots aux questions, et semblaient plus intéressées par les derniers messages qu’elles recevaient sur leur smartphone que par les visites faites aux résidents.
— John Chapman ? Il est normalement en chambre 204, et s’il n’est pas là-bas, essayez le réfectoire, avait répondu l’une des jeunes femmes brunes d’un air distrait. Et ne restez pas plus de vingt minutes, il a besoin de repos !
Andy avait acquiescé, en se dirigeant avec Shirley et Lana vers l’ascenseur.
La chambre 204 se situait au début du couloir, au deuxième étage. Elle semblait aussi impersonnelle que les autres chambres de l’établissement. Un grand lit, une penderie, un fauteuil qui paraissait tout sauf confortable. Cela faisait seulement une semaine que Papy-John était dans cette partie de la résidence, et la famille n’avait pas encore eu l’occasion d’y amener beaucoup d’effets personnels à John. Quelques photos étaient posées sur la table de chevet, quelques livres sur la desserte, à côté d’un grand bouquet de fleur amené par Jessica. Rien de plus.
En entrant dans la chambre, Andy eut un léger temps d’arrêt. Il ne s’attendait pas à ce genre d’environnement. Pour lui, Papy-John ne pouvait vivre que dans un endroit douillé, confortable, comme son ancienne maison de San Francisco. Entrer dans cette pièce blanche, c’était réaliser encore une fois la gravité de la situation de son grand-père. Il l’a connaissait bien entendu, mais l’atmosphère de la pièce l’étourdissait, comme une révélation.
— Andy, c’est toi ?
La voix de son grand-père était faible, mais elle avait les mêmes intonations qu’autrefois. Rassuré, Andy s’approcha, suivi à quelques mètres par Lana.
— Lana, tu es là aussi ? C’est gentil à vous deux d’être venus me voir. Cela fait quelques jours que je n’ai pas vu de visages connus, ça me fait plaisir que ce soit vous les premiers à me rendre visite aujourd’hui.
Andy et Lana restaient debout au bout du lit, ne sachant trop s’ils devaient s’approcher, s’asseoir, ou rester immobiles.
— Comment tu te sens Papy-John ? demanda Andy.
— Je me sentirai déjà bien mieux si tu venais m’embrasser, répondit John et lui tirant un clin d’œil.
Papy-John fit un effort pour s’asseoir sur le bord du lit tandis qu’Andy s’approchait, souriant. Depuis le début de la semaine, il s’était fait beaucoup de films sur l’état de son grand-père. Est-ce que celui-ci le reconnaîtrait ? Est-ce qu’il tiendrait des propos cohérents ? L’homme qu’il avait en face de lui était bien son Papy-John. Et il était content de pouvoir enfin le serrer dans ses bras.
Shirley choisit ce moment pour entrer dans la pièce. Elle était restée jusque-là dans le couloir, attendant discrètement de voir si John était réveillé, et comment il accueillerait ses petits-enfants. Elle fit quelques pas dans la chambre, en s’approchant du lit. Andy vit le regard de son grand-père se tourner vers la nouvelle invitée.
— Papy, on s’est dit que cela te ferait plaisir de voir quelqu’un que tu connais, expliqua rapidement Lana.
— Bonjour John.
Le visage de John s’éclaira d’un sourire timide. Ses yeux brillaient doucement.
— Shirley ? Cela fait si longtemps. Tu n’as pas beaucoup changée.
Il y avait beaucoup de tendresse dans la voix du vieil homme. Son visage s’était éclairé en un instant, comme si de nombreux souvenirs lui revenaient en tête d’un seul coup.
— Toi non plus, tu n’as pas réellement changé tu sais, répondit Shirley avec un demi-sourire.
Le silence s’installa doucement. Un silence que ni Andy, ni sa sœur n’osaient briser, tant ces retrouvailles paraissaient uniques.
— Comment te sens-tu John ? demanda Shirley. Ton petit-fils m’a parlé de tes soucis de santé. Tu as l’air d’aller bien mieux que ce qu’il me racontait.
La bouche de John s’ouvrit comme s’il allait répondre à sa vieille amie, mais aucun son n’en sortit. John restait comme paralysé, toujours assis sur le bord du lit. Ses yeux étaient fixés sur Shirley quand soudain, il prononça un flot de syllabes incompréhensibles. Des sons qui n’avaient aucun sens.
Le visage des visiteurs se décomposa.
— Papy ? Ça va ? bégaya Lana d’une voix inquiète.
Shirley était devenue blême. Elle se tenait toujours debout au milieu de la pièce et son visage semblait marqué par la peur. John continuait à aligner des syllabes sans sens ni logique.
Andy fut le premier à réagir. Il sortit dans le couloir à la recherche d’une aide quelconque, et amena bien vite dans la chambre deux employés, des aides-soignants, qui discutaient un peu plus loin. Ils prirent aussitôt en charge Papy-John et demandèrent à Andy, Lana et Shirley de quitter la chambre. La dernière chose que vit Andy en franchissant la porte, c’était ces deux hommes essayant de coucher son grand-père en lui disant de se calmer. Dans le couloir, il entendait encore la voix de son grand-père répéter des syllabes de façon incohérente.
— Je suis désolée, dit Shirley aux enfants, ce n’était pas une si bonne idée que ça de vous suivre et de venir le voir. Je ferai mieux de partir.
Shirley s’éloignait déjà dans le couloir afin qu’aucun des adolescents n’ait le temps de répondre. Andy regardait sa sœur d’un air désolé.
— Je ferai mieux d’appeler Maman pour lui expliquer ce qui vient de se passer, lui dit-il en sortant son smartphone de sa poche.
En quelques secondes, il racontait tout à sa mère. La visite de l’après-midi, la vieille amie de John qui était avec eux et surtout la crise de démence que venait de faire son grand-père. Jessica lui répondit de ne pas bouger.
John dormait paisiblement. Quelques dizaines de minutes s’étaient écoulées avant que les équipes du centre de repos ne parviennent à le calmer. D’après les médecins, le choc avait été rude et ils ne pouvaient que recommander l’absence de visites pendant quelques jours. Par mesure de précaution.
La mère d’Andy était arrivée tard, et n’avait heureusement pas vu son propre père dans l’état de confusion qui était encore le sien quelques minutes auparavant. Elle était maintenant assise au chevet de Papy-John, tandis qu’Andy et Lana attendait sagement dans le hall d’accueil que leur mère ne vienne les chercher. Ils repassaient dans leur tête les différents évènements de l’après-midi quand Lana se tourna vers son frère.
— Tu sais Andy. Je ne suis pas certaine que Papy délirait. On aurait dit qu’il parlait réellement à Shirley…