.54 Toilettes temporelles
(2024-06-20, François Houste)— Merde, ça devient insupportable !
La voix couvrait très clairement le bruit de la chasse d’eau qui résonnait dans la petite pièce. Après un court instant et un nouveau bruit de chasse d’eau, François-Xavier sortit des toilettes de l’appartement familial visiblement furax.
— C’est si compliqué que ça de vous demander d’avoir un peu d’hygiène ? hurla-t-il à l’adresse de sa famille réunie dans le salon. Putain, quand on a fini ce qu’on a à faire aux toilettes, on tire la chasse et on vérifie qu’il ne reste rien. Merde, j’en ai plus que marre de passer derrière vous.
Étienne, le plus grand de ses deux fils, ne détourna même pas le regard de l’écran de son smartphone. Joachim, trois ans plus jeune, prit la peine de répondre un rapide un C’est pas moi ! et continua à se concentrer sur sa partie de FIFA 2022. Morgane, l’épouse de François-Xavier, leva, elle, les yeux de son magazine et, après avoir poussé un soupir lui demanda ce qu’il se passait encore, en prenant la peine d’insister sur ce dernier mot.
— Ce qui se passe ? C’est pas clair ? Cela fait trois, quatre fois ces derniers jours que quand je vais aux toilettes, il y a encore de la merde qui flotte dedans. Voilà ce qu’il se passe. Y’a l’un de vous qui a perdu l’habitude de tirer…
Morgane l’interrompit et se tourna vers les garçons.
— Les enfants, qui a été aux toilettes en dernier ?
Joachim assura ne pas avoir été aux toilettes depuis son retour du collège, une heure plus tôt et Étienne répondit un sarcastique Tu veux vraiment que je te détaille mes allers et venues ? auquel aucun des deux parents n’eut envie de répondre tant la discussion semblait idiote. François-Xavier en convenait, il semblait inutile d’épiloguer sur le sujet. Et son impression fut renforcée par le regard de Morgane qui exprimait un très clair et très gênant Tu oses me soupçonner ? Il ne pu qu’articuler un Enfin merde, faites gaffe quoi ! plus confus qu’en colère avant de s’éclipser dans la cuisine.
L’incident se produit à nouveau le lendemain. Mais cette fois, impossible pour François-Xavier d’accuser l’un des membres de sa famille. Lui-même était seul dans l’appartement depuis le matin, profitant d’une journée de télétravail. Joachim et Étienne étaient respectivement au collège et au lycée et sa femme Morgane travaillait ce jour-là au siège de son entreprise, dans la grande ville voisine.
Tout semblait indiquer que François-Xavier était lui-même coupable du méfait, s’il n’avait eu la certitude de n’avoir rien commis de la nature de celui-ci dans la journée. Les selles qui souillaient la cuvette quand il y était entré venaient… d’ailleurs. Un défaut dans la tuyauterie de la résidence sans doute, qui faisait remonter ici-même les déchets des étages supérieurs.
Debout devant les toilettes, François-Xavier avait déjà attrapé son téléphone et se préparait composer le numéro du syndic de son immeuble quand il entendit un bruit de liquide provenant de l’autre côté de la porte. Agrippant sa poignée, il ouvrit celle-ci d’un coup et se trouva face à un inconnu en train d’uriner.
Surpris, l’individu se réajusta rapidement et fit face à François-Xavier.
— Pardon, articula-t-il après une petite toux gênée. Bonjour.
— Qu’est-ce-que vous foutez là ? Qui êtes-vous ? Bordel, comment êtes-vous entré ? Merde, c’est quoi ce bordel ?
Face à la situation, François-Xavier avait un paquet de questions qui lui venaient en tête.
— Ça va vous sembler bizarre, balbutia l’inconnu, mais tout s’explique très bien, je vous assure. Je suis juste venu pisser. Je repars, je repars. Ne vous inquiétez pas.
— Mais vous êtes qui ? Comment vous êtes arrivé là ?
— Je… Je suis le propriétaire de cet appartement.
— Le pro…
— Attendez, ‘tendez ! Je suis… je serai le propriétaire de cet appartement dans le futur. Dans quarante-trois ans précisément. Je l’ai acheté à ceux qui vous le rachèteront dans dix ans, après votre divorce.
— Quoi ? Quel div…
— Non, rien. Oubliez ça ! Retenez seulement que je viens du futur. Juste ça. Un futur dans lequel on a inventé le voyage dans le temps. C’est tout.
— Comment ça ?
— On peut voyager dans le temps, c’est tout. On va dans le passer et dans le futur. C’est tout.
— Mais ? mais… ça ne me dit pas ce que vous faîtes dans mes toilettes ! la voix de François-Xavier s’était radoucie sous l’effet de l’étonnement.
— Oui. C’est vrai. Oh, c’est simple. Depuis qu’on peut voyager dans le temps, on a juste pris l’habitude de venir se soulager dans le passé, juste quelques années en arrière. C’est quand même plus agréable que de salir les toilettes chez soi non ? l’inconnu finit sa phrase avec un petit rire nerveux.
François-Xavier ne sut quoi répondre tant la situation lui semblait insolite.
— Bon, je vais vous laisser. Désolé du dérangement, furent les derniers mots qu’articule l’inconnu avant de disparaître.
Sans prendre la peine de tirer la chasse d’eau.
Conches-sur-Gondoire / 20 juin 2024