.57 La Corneille
(2024-06-29, François Houste)La corneille se tenait au milieu de la route et Camille l’observait. Elle était noire, du bec aux serres, comme le sont toutes les corneilles. Elle ne faisait pas un bruit, ne poussait pas un cri, ne faisait pas un mouvement. Perchée sur ses deux pattes, elle observait seulement d’un œil noir Camille, assise sur le bord du fossé. Quand une voiture approchait – elles étaient peu nombreuses cet après-midi sur cette route de campagne isolée – la corneille tout d’abord ne bougeait pas, elle ne tournait même pas la tête. Elle devait pourtant sentir le danger qui arrivait, qui grandissait. Elle devait le sentir à la fois dans les vibrations du sol et dans les mouvements de l’air. Par le vrombissement du moteur qui s’amplifiait et par le frottement gras des pneus sur l’asphalte. Elle savait le danger bien sûr, mais toujours elle attendait la dernière minute pour bondir et déployer ses ailes. Il sembla plus d’une fois à Camille qu’un pare-chocs allait heurter l’oiseau, un pare-brise la frôler, une antenne la déséquilibrer dans son vol. Parfois, les véhicules ralentissaient. Ou faisaient un écart pour éviter le volatile. Toujours, la corneille s’en tirait indemne et, après être restée un instant comme suspendue dans les airs, se reposait au milieu de la chaussée. À l’endroit exact qu’elle venait de quitter. Et de là, à nouveau, observait Camille. Sans un bruit. Sans un cri. Sans un mouvement.
— Nous sommes pareilles, toi et moi, pensa doucement Camille. Toutes les deux très douées pour éviter les dangers. Mais pour ce qui est d’avancer dans la vie…
Camille observait la corneille qui se tenait au milieu de la route.
Sans un mouvement. Sans une parole. Sans un bruit.
Conches-sur-Gondoire / 29 juin 2024