.63 Un suicide télécommandé en quelque sorte ?
(2024-08-21, François Houste)— C’est tout sauf une mort naturelle, je suis formelle.
Alors que les messages de deuil et les premiers articles de fond pleuvaient sur tous les réseaux digitaux du monde, James Baldwin n’avait d’yeux que pour les moniteurs de la salle de conférence dans laquelle il se trouvait. En face de lui, à près de trois mille miles de là, la jeune Trinity Gomez lui détaillait les premières conclusions de l’examen.
Ce n’est pas pour rien qu’on avait fait appel à Trinity Gomez pour l’autopsie. La médecin-légiste d’origine vaguement sud-américaine était la plus consciencieuse de tout le pays. Elle ne laissait jamais rien de côté, jamais rien au hasard, et avait bien souvent renversé le cours d’une enquête en trouvant une trace de piqure, une coloration étrange de la peau ou une lésion. Sur un dossier comme celui-ci, on avait besoin d’une pointure de ce genre, de quelqu’un capable de passer chaque millimètre carré d’un corps au crible.
Cela faisait trois heures maintenant que Jeff Bezos avait été déclaré mort par la scientifique de Seattle, et deux heures que son corps avait été déplacé dans les locaux de la police. Malgré les plaintes de sa famille. On avait donné à Trinity tout pouvoir pour mobiliser les équipes locales et faire procéder à l’autopsie la plus méticuleuse possible, dès la nouvelle de la mort connue. Trinity n’avait pas hésité à user de ses influences et du nom de ses patrons pour arriver à ses fins.
Aussitôt dans les locaux de la morgue, c’est une équipe complète qui s’était mise au chevet du corps, procédant à l’analyse la plus poussée qu’on avait vue de mémoire de médecin légiste dans la ville. Rien n’avait été laissé au hasard. Examen de la peau, des organes internes, analyses toxicologiques et neurologiques… jusqu’à ce qu’on trouve le petit détail qui choque.
Jeff Bezos était le modèle même du milliardaire qui s’entretenait. Un corps sain abritant un esprit des plus brillants, auraient dit les latins. Une morning routine à toute épreuve, qui avait inspiré des millions d’internautes et d’entrepreneurs. Difficile d’imaginer qu’à soixante ans son cœur puisse lâcher comme ça, du jour au lendemain.
C’est une micro-écographie qui révéla l’anomalie : une brûlure à l’intérieur du myocarde, dans le ventricule gauche. C’était tout sauf normal. Et la seule conclusion possible était que cette brûlure était la trace d’un choc électrique ayant arrêté le corps du milliardaire.
— Un choc électrique à l’intérieur du cœur, s’écria Baldwin. Vous vous foutez de ma gueule, on nage en pleine science-fiction !
— Vous n’êtes pas au bout de vos surprises, répondit Trinity en baisant les yeux de sa caméra pour regarder quelques notes étalées sur son bureau. On a cherché ce qui pouvait provoquer ce type de choc, vous vous en doutez. Et on a filtré la quasi-totalité du sang de Bezos. Vous n’imaginez pas à quel point c’est dégueulasse de voir ce genre d’opération.
Baldwin imaginait très bien. Son passé dans les forces spéciales, en Irak et en Afghanistan, lui avait sûrement fait vivre des expérience pire qu’une ponction sur un cadavre. Au moins Bezos était mort pendant qu’on lui tirait son sang.
— Bref, on filtré le sang du corps de Bezos et on a trouvé ça.
Trinity tenait un petit sachet en plastique devant la caméra de son ordinateur, avec dedans une plaque de verre transparente.
— Qu’est-ce que c’est ? s’énerva Baldwin. On ne voit rien avec la caméra.
— C’est un microrobot, une sorte de drone si vous voulez, qui devait circulait dans le corps de Bezos. Ce truc est totalement mort lui aussi, inerte. Mais on va le faire analyser pour savoir s’il pourrait être la cause de la défaillance cardiaque.
— Un microrobot dans les artères ? Il aurait dû mourir d’un AVC ou d’une thrombose si c’est ça…
— Pas nécessairement, on peut tout imaginer. Mais mon hypothèse est la suivante. Bezos devait avoir dans le corps ce nanorobot, qui a échappé à nos analyses lors de son interpellation. Une sorte de petit appareil électrique commandé à distance qui circulait dans son sang. Sur ordre, l’appareil en question s’est dirigé vers le cœur et y a provoqué une décharge électrique. L’arrêt a été immédiat.
— Un suicide télécommandé en quelque sorte.
— Oui. Je vais faire disséquer ce robot pour être certain de ce que j’avance. On verra ce qu’on peut en tirer d’ici une heure ou deux…
Conches-sur-Gondoire / 16 août 2024