Matière à Fiction

.70 Pour la planète

(2024-12-15, François Houste)

Qu'est-ce que tu veux dire par "C'est pour la planète" exactement ?Disons que c'est un moyen de joindre l'agréable à l'utile.

Il l'avait contactée via un app faite pour ça, la veille. Trouve une fille disponible immédiatement, tout près de chez toi. Il avait fait son choix dans la liste, scrutant surtout les traits du visage et les données de corpulence. Il avait besoin d'une femme bien bâtie. Solide. Moyennant un numéro de CB, il avait pu entrer en contact avec elle. Salut, tentée par une aventure écologique d'un soir ? … suivi d'un smiley faisant un clin d’œil et d'un autre emoji représentant la planète Terre. Il s'était ensuite saisi d'une serviette qui traînait là et était allé prendre une douche.

À son retour de la salle d'eau, une réponse l'attendait déjà. Une aventure écologique ? Qu'est-ce que tu racontes ? Il avait sourit en tapant sa réponse. Rdv demain. Café des Loges, dans le centre. Je t'explique tout. C'est pour la planète ! Tu me trouveras facilement. À demain. Un simple OK, à demain avait clôturé la conversation.

Ils s'étaient effectivement trouvés facilement. Il était seul à une table, côté banquette, entouré de couples qui discutaient ou s'ennuyaient ferme un verre de blanc ou une pinte à la main. Et puis, elle les repérait tout de suite, ces clients. Ils avaient tous un peu la même tête. Le même air. Un truc qu'elle n'aurait pu définir précisément mais qui se voyait de loin, comme un gyrophare sur la voie de gauche d'une autoroute. Elle l'avait interrogé directement.

Qu'est-ce que tu veux dire par "C'est pour la planète" exactement ?

Disons que c'est un moyen de joindre l'agréable à l'utile… je t'offre quoi ?

Martini.

Va pour un Martini.

Elle reprit son interrogatoire une fois les consommations servies.

Alors ?

Alors, tu as une idée de ce que ça consomme comme énergie une bonne partie de jambes en l'air? Des fois, on en ressort totalement crevé… Pas vrai ?

Elle ne répondit pas. Elle le fixait, curieuse. Il continua.

Et pourtant, toute cette énergie, c'est du gâchis. Du gaspillage… c'est perdu.

Pas pour tout le monde, répondit-elle avec un clin d’œil.

Mais lui était sérieux.

Si. Pour tout le monde. Cette chaleur, cette énergie, elles sont perdues pour tout le monde. Sauf… sauf si on peut les récupérer, les convertir, les transformer en électricité grâce à un système de mon invention.

Mmmh mmh.

Elle n'écoutait qu'à moitié. Hochait la tête poliment. Il continuait.

J'ai conçu un matelas… spécial. Qui récupère l'énergie des mouvements du corps. Sa chaleur aussi, celle de transpiration. Et il convertit tout ça en électricité. La renvoie dans le réseau électrique. Tu n'imagines pas la puissance du truc. Chaque partie de baise pourrait contribuer à alimenter son foyer, moins dépendre des énergies fossiles. Sauver la planète !

Elle siffla, impressionnée plus encore par le baratin que par la prétendue invention. D'habitude, les mecs ne se prenaient pas autant la tête à inventer des bobards de cette ampleurs pour la mettre dans leur pieu. Payer suffisait. Lui, visiblement, il avait en plus besoin de se raconter des histoires. Il continuait d'ailleurs.

Ce qu'il faut maintenant, c'est tester, tester le système pour en améliorer le rendement.

Et donc ? Elle voulait qu'il abrège.

Et… ?

Et donc, on va le tester ton matelas révolutionnaire ?

Ils se retrouvèrent dans son appartement, à quelques rues de là, quelques minutes plus tard. Dans la chambre, le lit, entouré de quelques câbles occupait pratiquement toute la place, plus large, plus haut qu'un lit traditionnel. Seule une petite table de chevet complétait l'ameublement.

Elle avait machinalement enlevé ses chaussures et son manteau en entrant dans l'appart'. Une habitude. Il allait commencer à expliquer le fonctionnement du dispositif quand elle grimpa sur le lit et retira son sweat-shirt sous lequel elle n'avait rien d'autre qu'un soutien-gorge et l'invita d'un Allez ! Viens produire de l'énergie ! C'est pour ça que tu m'as fait venir, non ?

Oui. Mais il faut que je t'explique comment ça marche d'ab…

Elle le fit taire d'un baiser appuyé. Quelques secondes. Se séparant de ses lèvres, elle le fixa.

Arrête tes histoires. Tout ce que tu veux, c'est me baiser. Non ? Alors vient.

Il ne répondit rien, tapota l'écran d'un smartphone posé sur la table de chevet et enleva son t-shirt. Il la rejoint.

Il furent bientôt nus tous les deux, leurs mains explorant chacune des parties de leurs corps. Lui s'arrangeait pour avoir toujours le regard tourné vers la table de chevet. Il faut bouger plus… murmura-t-il avant de la pénétrer, elle couchée sur le dos et lui la dominant. Cette position ne produit pas assez d'énergie articula-t-il après les premiers va-et-vient, les yeux fixés sur l'écran vert du smartphone. Mets-toi plutôt sur moi, demanda-t-il après s'être retiré et s'être couché sur le dos, à côté d'elle. Elle s'exécuta et s'empala sur lui, montant et descendant. Il se tordait le cou pour voir le vert de l'écran, à peine plus foncé que quelques secondes auparavant. Non. C'est pas encore ça. Bouge plus vite ! Elle s'activa plus fort, à califourchon sur ses hanches. Aussi vite qu'elle le pouvait. Ça va pas. Ça suffit pas. Merde. Elle cessa son mouvement. Le fixa. T'es jamais cont… Il la renversa d'un violent mouvement du bassin et elle ne put terminer sa phrase. Il faut plus d'énergie, t'entends ? Plus d'énergie ! Il la saisit par les hanches et releva son bassin, en position de levrette. Alors qu'elle commençait à protester, il la pénétra à nouveau et entama de lourds mouvements d'avant en arrière, y mettant toute l'énergie dont il était capable. L'écran du smartphone avait pris une légère teinte orangée. C'est mieux ! articula-t-il entre deux fortes respirations. Elle cria qu'il lui faisait mal mais il ne se retira pas, concentré seulement sur l'écran du smartphone qui prenait une teinte de plus en plus foncée. Quand elle chercha à se débattre, il la contraint, la plaqua plus fort sur le matelas, mais constata que l'énergie transmise au matelas baissait. L'écran redevenait jaune. Il se retira, l'attrapa par les épaules et la força à se retourner. Elle était à genou, comme lui, et lui faisait face. Il la gifla. De surprise, elle ne répondit rien, mais le smartphone lui prit pendant quelques secondes une belle teinte rouge, profonde que l'homme capta aussitôt. Il recommença. Une seconde gifle. Une autre, encore une autre. Elle tentait de se protéger le visage avec les avants-bras, mais les coups pleuvaient. L'écran restait rouge. Lui était comme en transe et continuait à frapper.

Seule la sonnerie du portable se tira de sa transe.

Le matelas avait accumulé assez d'énergie pour valider son expérience. Il baissa les bras et s'écarta doucement de sa partenaire. Sur le matelas, quelques taches de sang brillaient de la même teinte que l'écran du smartphone.

Il contempla le visage en face de lui et murmura, comme pour se justifier : C'est pour la planète, tu sais. Pour la planète.


Conches-sur-Gondoire / 15 décembre 2024