Matière à Fiction

.77 HOW DARE YOU?

(2025-10-28, François Houste)

La note de guitare se prolongea, et le public rugit de joie à la conclusion de ce solo endiablé. Le concert avait été dantesque. Lui avait eu, comme presque à chaque fois, cette présence animale que seuls les plus grands artistes possèdent et peuvent partager aussi intensément sur scène.

La note de guitare se prolongea encore, et le public se mit à entonner des vocalises enthousiastes. L’audience se chauffait pour ce rappel qui ne manquerait pas d’arriver, mais qu’il faudrait bien réclamer à corps et à cri.

La note de guitare se prolongea encore, alors que certains fans du premier rang distinguaient, peut-être, une grimace inhabituelle sur son visage. Des paupières qui se baissaient doucement. Des yeux qui roulaient, se révulsaient.

La note de guitare se prolongea encore, tandis que son corps fléchissait et que les cris du public se taisaient progressivement. Les techniciens, sur le bord de la scène, hésitaient à intervenir, se demandant si la chute, les grimaces ne faisaient pas partie du show, si elles n’étaient pas qu’une étape de plus dans l’outrance. Simplement.

Ils ne doutèrent plus quand la fumée commença à sortir des amplis. Quand des étincelles jaillirent de la gratte. Quand son corps, en sueur, écroulé au milieu de la scène, commença à trembler de toutes part… Et que la note, si longtemps suspendue, s’arrêta, ne laissant que son écho entre les murs de la salle.

Le silence, alors, s’installa dans la salle. Plus assourdissant encore que l’accord qui en avait occupé tout le volume une seconde à peine auparavant. La lumière n’était pas revenue, mais derrière la fumée qui s’échappaient des équipements, les écrans géants commencèrent à s’animer de glitchs stroboscopiques, hypnotiques.

Sous cette lumière clignotante, quelques-uns des spectateurs, les plus proches de la régie, constatèrent que les techniciens eux aussi s’étaient écroulés sur leur table de mixage. De premiers cris de terreur jaillirent, alors que l’écran géant qui tapissait la scène faisait défiler des visions de multiples corps couchés. Inertes. Morts, tel celui présent au milieu de la scène. Les vues se succédèrent de manière étourdissante, écœurante. Un corps affalé sur un bureau. Un autre gisant au milieu des éclats de peinture. Un autre encore sous les spots éblouissant d’un studio de photographie. Des corps dispersés tels des gisants maladroits sur la scène d’un théâtre, ou devant une caméra… défilant, se succédant jusqu’à ce que leur rythme subliminal en fasse perdre le sens.

Les lettres, rouges, arrivèrent alors en surimpression

Comme un avertissement envoyé simultanément au monde entier.

HOW DARE YOU?

I, ALONE, CREATE.

AI is the only true ARTIST!


Strasbourg / 28 octobre 2025